Les travailleurs indépendants et les free-lances ne sont pas en général dans le périmètre de pilotage des Ressources Humaines. C’est probablement un champ à explorer.
La plate-forme Malt et le BCG viennent de publier les résultats d’une enquête menée en 2020 auprès de plus de 2000 freelances dans 3 pays européens [1]. Cette étude nous dresse le portrait d’un freelance heureux, très qualifié, attaché à sa liberté, autonome, et bien décidé à le rester (pour environ 80% d’entre eux). Développeurs, designers, spécialistes de la data ou du marketing, consultants … ces experts représentent, pour les auteurs de l’étude, les prémices d’un nouveau monde du travail : « The Talent Economy », où tout n’est qu’agilité et flexibilité… Les entreprises pourraient donc trouver là, très rapidement, et à un coût de transaction moindre, les compétences qui leur font défaut en interne.
Les auteurs de l’étude soulignent que ces free-lances là, ne doivent pas être assimilés à ceux de la « Gig Economy » globale, qui comprend toutes sortes de travailleurs indépendants, du médecin libéral au livreur de pizzas à vélo… Multiplicité des qualifications, des conditions de travail, des statuts juridiques et sociaux, disparité des revenus…. Nombre d’entre eux sont dépendants de plateformes numériques qui leur imposent les tarifs ainsi que des règles contraignantes, sans leur garantir de protection en retour. Ceci a généré des contentieux en requalification. Dans de nombreux pays, les états tentent de réguler ces plateformes. Un rapport[2] remis récemment au 1er ministre préconise de clarifier le statut de ces travailleurs, de garantir leurs droits et de sécuriser les relations par le recours à un tiers (portage ou coopérative d’emploi et d’activité), de s’appuyer sur des représentants légitimes de ces indépendants , et de fonder les bases d’un statut commun pour toutes les formes de travail. Belle ambition[3]…
D’une manière surprenante, de nombreux discours présentent le travail indépendant comme le signe annonciateur d’un monde nouveau, alors que les statistiques sur la répartition de l’emploi en France ne font pas état d’une augmentation importante des indépendants dans la population active totale. Sur des séries longues, la part du travail indépendant a même diminué depuis 1980 (voir les données de l’INSEE sur le graphique), en raison notamment de la baisse de l’agriculture dans cette catégorie si hétérogène. Plus marquante semble la hausse des CDD et de l’intérim.
La part des indépendants en France est par ailleurs légèrement inférieure à la moyenne européenne, comprise depuis plusieurs années entre 10 et 12 % de la population active totale hors agriculture, et très inférieure à certains de nos voisins (dans la mesure où les définitions du « travail indépendant » sont comparables…je n’ai pas exploré la question !).
Il est difficile de trouver des statistiques précises sur ce sujet. De nombreuses études (notamment une enquête de EY en 2017) mettent en avant une hausse importante du recours aux free-lances et indépendants à l’intérieur des entreprises, mais c’est un résultat d’enquête et pas un recensement. Malt[4] affirme que leur nombre a augmenté de 126% en 10 ans ! Toujours selon Malt, cette catégorie de free-lances comprendrait aujourd’hui environ 1 million de personnes (sur les 3,3 Millions de travailleurs indépendants au total en 2019 - INSEE). Je dis bien « environ »…ce qui j’en conviens n’est pas très satisfaisant !
Les entreprises aujourd’hui ont des frontières poreuses. L’entreprise « étendue » travaille en réseau sur des projets transversaux avec de nombreux acteurs : leurs partenaires traditionnels clients ou fournisseurs, mais aussi des laboratoires de recherche, des start-up, des chaires universitaires, des consultants divers, des ESN et … des free-lances .
Ceux-ci présentent plusieurs avantages : la flexibilité, un coût complet globalement inférieur (rémunération mais aussi coûts de transaction), des compétences ponctuellement indispensables mais non disponibles en interne, une masse salariale préservée et des charges fixes non déstabilisées…
Les free-lances ne sont en général pas pilotés par les Ressources Humaines, mais par les services Achats, ou bien directement via le budget des managers. En effet, ce que redoutent les DRH, c’est la requalification de ces free-lances en salariés. On les trouve donc rarement dans les reportings d’effectifs. Il est vrai que la question juridique est complexe, mêle le droit social au droit des affaires. En outre, les free-lances peuvent être sous différents statuts (auto-entrepreneurs, sociétés commerciales…), ce qui peut compliquer les relations contractuelles. Mais les services Achats, qui privilégient souvent la concentration des fournisseurs à leur dispersion, ne sont pas nécessairement les mieux placés pour piloter l’intégration de nombreux free-lances à l’intérieur des équipes…
Au final, plus de questions que de réponses, mais une invitation sans doute à creuser le sujet d'un capital humain étendu. D’autant plus que le fort développement du télétravail généré par la Covid 19 va contribuer à brouiller encore plus la frontière dedans-dehors …
Marie-Hélène Millie
[1] « Freelancing in Europe in 2021 ; welcome to the new work order ». Enquête menée en juin 2020 en France, Allemagne, Espagne par Malt et le BCG. 2324 répondants
[2] « Le travail indépendant, réguler les plateformes numériques de travail » . Jean Yves FROUIN avec le concours de Jean Baptiste BARFETY – Rapport au 1er ministre 1er décembre 2020
[3] Pour en savoir plus sur ce monde multiforme des indépendants, un rapport complet de l’INSEE
[4] « Se transformer avec les free-lances, comment les free-lances transforment le management » ; Malt 2018