La performance est devenue une injonction permanente de nos sociétés et elle irrigue le discours managérial de toutes les dimensions de l’entreprise. Les Ressources Humaines n’y échappent évidemment pas, et s’interrogent sur les KPI les plus judicieux pour mesurer « la performance RH ».
Mais il faut commencer par définir précisément de quoi on parle : qu’est-ce que la performance en général ? Et comment définir « la performance des Ressources Humaines » en particulier ?
Parler de performance nécessite d’avoir défini un objectif, des moyens et actions pour atteindre cet objectif, et d’avoir mis en place un système de mesure. Or trop souvent on s’interroge sur les « bons indicateurs » à utiliser, sans avoir clarifié les deux premières étapes.
Bien sûr, notre contrôleur de gestion n’est pas décisionnaire sur le plan de la stratégie...mais comment peut-il se positionner en « Business partner » s’il n’a pas intégré les objectifs de performance et les facteurs clés de succès associés ? La quête de l’indicateur idéal est un faux problème. Ceci vaut pour toutes les fonctions de l’entreprise, y compris les RH.
La performance en Ressources Humaines ne bénéficie pas d’une définition claire. Les travaux sur le capital humain et sur le capital immatériel tentent de mesurer la contribution des RH à l’accomplissement du projet stratégique, mais la mesure est forcément complexe : multifactorielle, et néanmoins partielle, approximative et réductrice.
Faut-il pour autant y renoncer ? Non, car alors, il faudrait aussi renoncer à faire des efforts dans ce domaine... Mais il faut savoir rester humble et lucide sur les limites des systèmes de mesure. Nous avons donc choisi pour simplifier, d’aborder la problématique en segmentant la notion de « performance RH » en trois niveaux liés les uns aux autres. C’est un parti pris assumé, et pas une vérité intangible.
Ces trois niveaux sont interdépendants (et souvent corrélés statistiquement), sans qu’aucune étude n’ait pour l’instant réussi à démontrer clairement le sens des relations éventuelles de causalité. Ainsi, les entreprises qui ont de bonnes performances financières ont aussi en général des « bonnes pratiques RH ». Mais ces bonnes pratiques sont-elles une cause ou une conséquence ?
Quelles sont les problématiques pour le contrôle de gestion, à chacun de ces niveaux ?
Le contrôle de gestion, en tant que « pilote de la performance », a nécessairement un impact sur les systèmes d’évaluation de cette performance. Ainsi, mettre en place des KPI (indicateurs clés de performance) n'est pas neutre quant à l’appréciation portée sur les processus et les activités : rentabilité, productivité, création de valeur...
Mais attention : il ne faut pas confondre performance des activités (ou des entités, ou des processus...) et performance des personnes !
Le rituel annuel de l’entretien annuel d’évaluation est de plus en plus souvent remis en cause au profit d’un feed-back managérial en continu, plus favorable à la réactivité et à l’agilité, mais aussi à la reconnaissance et à l'engagement. Mais quelles que soient les modalités de cette évaluation, la question de la finalité reste la même. Qu’appelle-t-on « performance » s’agissant du travail des salariés ? Plusieurs questions se posent et doivent être analysées dans la réalité des situations de travail et des contextes d’entreprise :
Toutes ces questions ont fait l’objet de recherches sérieuses[1] et ont généré des milliers de pages d’écriture. Nous ne nous y attarderons pas davantage.
Pour le contrôle de gestion, l’enjeu est de faire « l’évaluation de l’évaluation ». Il s’agit d’apprécier en quoi le système de mesure et d’évaluation de la performance des salariés impacte l’activité, le travail, le climat social (motivation et engagement des salariés) et au final...la performance globale de l'entreprise. On se doute que cela ne peut se réduire à quelques indicateurs quantitatifs, qui seront trop réducteurs.
[1] Del Rey , Vidaillet, Beauvallet, Bernard ....Et un point de vue intéressant dans le Harvard Business Review de février 2020
Pas d’entreprise performante sans salariés performants...Condition nécessaire, mais non suffisante ! Se pose alors la question de la mesure de la performance de l’action collective du capital humain. Les coûts en RH (masse salariale et dépenses RH) permettent-ils d’atteindre les objectifs stratégiques ?
Car la performance ne se limite pas à la réduction des coûts ! Il faut plutôt se demander combien nous rapporte ce que nous dépensons, mais aussi combien cela rapporte (ou coûte) à nos parties prenantes. On va donc comparer les efforts et moyens engagés (en capital humain) et les résultats obtenus :
On va donc à la fois utiliser des indicateurs reliés à la finance, en rapprochant les effectifs, la masse salariale, ou les dépenses en RH, des soldes intermédiaires de gestion (CA, production, Valeur Ajoutée, EBITDA, EBIT....), et en même temps des indicateurs extra-financiers, plus qualitatifs. A noter : ces éléments devraient être la base de la réflexion sur la DPEF (Déclaration de Performance Extra-Financière). Ils permettent d’apprécier l’accomplissement de la « raison d’être » de l’entreprise, lorsque celle-ci est inscrite dans les statuts (loi Pacte 2019-486).
Là encore, inutile de produire un catalogue d’indicateurs [1]. Le dialogue en interne doit permettre de discerner les variables qui seront les plus pertinentes et les plus utiles en fonction du contexte d’entreprise.
Ainsi, le ratio (Masse Salariale / Chiffre d’Affaires) est très souvent utilisé dans le cadre du pilotage de la masse salariale. Mais ce n’est pas toujours une bonne idée. Les comparaisons sont difficiles lorsque les processus de production et les chaînes de valeur ne sont pas homogènes. La tendance croissante des entreprises à externaliser un certain nombre de process rend souvent plus pertinent le ratio (Masse Salariale / Valeur Ajoutée).
La mesure de la performance globale ne peut donc pas, là encore, être enfermée dans une métrique simpliste et universelle. Il faut dans tous les cas une vision claire de l’objectif (ce qui en période d’incertitude n’est pas simple...mais la tempête n’empêche pas de conserver un cap !), et de la rigueur dans l’utilisation des données.
Dans ce contexte...qu’est-ce qu’une « fonction RH performante » en définitive ?
[1] Voir liste d’indicateurs possibles, et exemples de cas d’application dans nos ressources associées.
Troisième dimension de la performance RH : celle de la fonction.
Là encore, difficile de résumer en quelques lignes ce qui a donné lieu à des milliers de pages de recherche, d’études et de sondages, d’outils de diagnostic ou d’audit ! Schématiquement, on peut considérer qu’une fonction RH qui performe remplit ces deux conditions :
On ne peut donc pas restreindre la mesure de cette performance à quelques indicateurs simplistes. Le lecteur en trouvera quelques-uns associés à notre rubrique « Tableaux de Bord ». Mais pas de KPI universel : tout dépend des objectifs et du contexte de l’entreprise, de sa mission, et de la manière dont elle conçoit sa « performance extra-financière ».
Une méthodologie intéressante pour évaluer la performance des fonctions supports est proposée par D.Autissier et B.Simonin : le modèle d’évaluation fonctionnelle (MEF). Elle peut utilement s’adapter à la fonction RH. Il s’agit alors d’évaluer :
L’atteinte des objectifs stratégiques et la contribution à la création de valeur pourrait constituer un cinquième axe distinct.
Comme toujours, la performance n’a de sens que par rapport à un objectif visé. Les benchmarks de mesure dans ce domaine n’ont pas un grand intérêt car la standardisation n’est pas possible.
A ce stade, notre ami lecteur s’interroge sur l’utilité de cette présentation fantasmée de la notion de performance… La crise du coronavirus que nous traversons depuis plusieurs mois est un long tunnel dont nous ne voyons pas l’issue pour l’instant. Les projections macroéconomiques anticipent une contraction du PIB de 8,7% en 2020[1] en France… Le spectre des faillites et du chômage massif menace de nombreux secteurs d’activité. Alors parler de performance quand on cherche à survivre peut sembler théorique et anachronique !
Les traumatismes, les chocs et les crises ne sont pas une nouveauté dans l’histoire des sociétés humaines. Mais cette pandémie se distingue par son caractère mondialisé et universel. Dans ce contexte une chose est sûre : la performance ne peut plus se comprendre comme la capacité à atteindre un objectif avec efficacité et efficience…car la notion même d’objectif est devenue caduque dans un univers complètement incertain (au sens des théories de la décision en économie). L’objectif a disparu sous les coups de boutoir de la crise, et nous sommes parfois incapables d’en fixer un autre plus réaliste, car l’avenir est impossible à prévoir.
La performance pourrait alors se comprendre comme la capacité de résilience.
En physique, la résilience représente la capacité des matériaux à reprendre leur forme initiale après un choc. En psychologie, la résilience est la capacité d’une personne à surmonter les épreuves de la vie, et à se reconstruire après un traumatisme. Le même concept peut s’appliquer aux organisations. Mais il ne va pas s’exercer tout à fait de la même manière, surtout dans le cas d’une crise longue et durable.
Dans un premier temps il s’agit de d’absorber le choc, de résister, voire de survivre : assurer les activités essentielles, protéger les salariés, préserver la trésorerie de l’entreprise : c’est ce que certains auteurs[2] ont appelé la résilience « passive ». Passif ne signifie pas inactif, bien au contraire ! La performance réside là dans la capacité à encaisser le choc et à résister, à rester debout. Les organisations rompues au risk management, ayant développé des actions de prévention et des cellules de crise sont évidemment mieux armées…sauf que personne n’était préparé à cette crise là (en Europe du moins, les sociétés asiatiques avaient déjà connu des pandémies respiratoires et se sont plus vite adaptées), et pour une durée aussi longue !
S’adapter nécessite de mettre en place des mesures d’urgence, mais aussi de modifier les routines organisationnelles pour pouvoir continuer à fonctionner. Cela a été le cas du télétravail. Du jour au lendemain, il a fallu changer complètement les habitudes, les outils, les modes de management. Avec plus ou moins de bonheur, en expérimentant, en sortant des lignes habituelles… Des salariés (et parfois pas ceux qu’on attendait) ont fait preuve d’inventivité et de créativité en expérimentant des solutions nouvelles pour faire face aux problèmes inédits qui se présentaient. Des entreprises ont développé de nouvelles activités en urgence pour s’adapter aux nouveaux besoins (les masques, le gel, la livraison de repas…) et dégager du cash. D’autres ont dû repenser plus vite que prévu leur modèle économique (le cas de la formation en ligne).
Mais on ne sait pas si le monde d’avant reviendra…Même si la pandémie cesse et que la croissance repart dans un horizon pas trop lointain, tous ces bouleversements laisseront des traces dont il peut aussi sortir du positif : qu’aurons-nous appris ? Cette capacité à résister peut aussi permettre de se renouveler, de progresser dans un certain nombre de domaines : redéploiement stratégique des activités, mais aussi organisation du travail, fonctionnement managérial…
D’une résilience passive, on passe donc à une résilience active : la reconstruction permise par l’apprentissage, puis le nouveau départ et le développement.
Et la performance RH alors ?
Les Ressources Humaines sont là en première ligne, comme souvent dans ce type de crise Elles ont dû faire face à l’urgence, gérer toutes les problématiques de paie et de sécurité sanitaire, et ce n’est pas terminé... Lors de l’épidémie de SRAS en 2003, une étude menée à Toronto avait mis en évidence pour toutes les personnes interrogées « l’importance absolue d’une mobilisation puissante des Ressources Humaines »[3].
La performance réside bien sûr dans cette capacité à répondre aux urgences de crise. Mais vient aussi le temps du bilan de l’apprentissage, à tirer avec les managers et leurs équipes : En cet automne 2020, un leitmotiv du discours RH semble être : comment raviver (ou ranimer) « l’engagement » des salariés après des mois de télétravail ? … La performance passera par là bien sûr, mais elle ne se fera pas sans l’implication des équipes dans la réflexion : qu’avons-nous appris, et que pouvons-nous faire pour rebondir et progresser ?
[1] Prévisions de la Banque de France ; septembre 2020
[2] On pourra lire une synthèse de la littérature sur le sujet, proposée par Gulsun ALTINTAS ; La capacité dynamique de résilience : l’aptitude à faire face aux évènements perturbateurs du macro-environnement.
[3] PILOTAGE D’ACTIVITÉS VITALES EN UNIVERS IMPRÉVISIBLE - Les grands opérateurs de réseaux et le risque de pandémie Retour d’Expérience sur l’épisode du Sras à Toronto (2003) ; Patrick LAGADEC et William DAB - 2006