La rémunération variable et individuelle de la performance est-elle en perte de vitesse ? La question se pose en particulier pour les commerciaux, mais pourrait s’inscrire dans un mouvement sociétal structurel. Est-ce pour autant une découverte ?
Dans le secteur des IT, quelques entreprises ont communiqué sur le sujet. C’est notamment le cas de Lucca[1] , et plus récemment de LDLC[2]. La partie variable des commerciaux a été supprimée, remplacée par des augmentations de salaires fixes. Leurs dirigeants semblent satisfaits de cette décision, qui a eu des impacts positifs sur la croissance, et n’a pas provoqué d’hémorragie au niveau de la population des commerciaux. Les arguments avancés sont à peu près les mêmes :
Pour mémoire, l’étude de la DARES[4] sur la structure des rémunérations en 2018 indique qu’en moyenne en France (tous secteurs, tailles d’entreprises et métiers confondus) :
La partie variable de la rémunération représente environ 20 % du total, tous éléments confondus (primes mais aussi épargne salariale, heures supplémentaires…) . Et à l’intérieur de ces 20% , la rémunération de la performance passe de 4,5% à 4,8% du total entre 2014 et 2018. Cette rétribution de la performance est principalement individuelle (de 3,9 à 4,1% du total de la rémunération).
Il y a bien sûr des disparités selon les secteurs et les tailles d’entreprise. La « moyenne » est un indicateur simpliste, mais la méthodologie étant stable dans le temps, la comparaison des différentes études DARES successives ne semble pas mettre en avant de révolution ou d’évolution substantielle de la rémunération variable de performance.
Pourtant, de nombreux travaux, articles et études, pointent les difficultés liées à la mise en place de cette rémunération individuelle de performance, et prédisent sa diminution future. Ces discours ne sont pas nouveaux, malgré ce qu’on voudrait nous faire croire. Depuis des décennies, de nombreux chercheurs en sciences sociales[5] se sont penchés sur la question des ressorts de la motivation et sur les effets pervers liés à la mesure et à la rétribution de la performance : motivation intrinsèque ou extrinsèque, phénomènes de contournement pour maximiser les indicateurs, hyper-individualisme…
Le principal levier de la motivation ne serait pas la rétribution, mais la reconnaissance. Cet argument est souvent avancé pour caractériser les attentes de la génération Z. Personnnellement, cela me laisse sceptique : le besoin de reconnaissance est-il vraiment spécifique à une génération en particulier ? Ce qui change, c’est peut être le degré de tolérance ou de résignation face au manque de reconnaissance : si celle-ci n’est pas au rendez-vous, et bien on part de l’entreprise, tout simplement. C’est peut-être cela qui poussera les pratiques à évoluer.
Car le management et les pratiques RH sont en interactions permanentes avec les évolutions sociétales. Les disparités et les fractures constatées dans la société entrent en résonnance avec des discours pronant l’égalité et le nivellement. Les directions des ressources humaines doivent gérer de nombreuses contradictions : comment « rémunérer » la performance à l’époque de l’index d’égalité professionnelle des femmes et des hommes ? Comment gérer les multiples attentes des salariés ? Dans des structures hiérarchiques de plus en plus plates, quels sont les leviers pour motiver et que deviennent les parcours professionnels ?
Un vaste champ d’études pour les spécialistes de la donnée sociale. Mais à quelles mesures peut-on vraiment se fier ?
[1] https://www.lucca.fr/blog/remuneration-variable-lucca/
[2] https://www.actionco.fr/Thematique/pilotage-commercial-1215/Breves/LDLC-supprime-remuneration-variable-plus-efficacite-360157.htm
[3] https://uptoo.fr/etudes/salaires-commerciaux/#telecharger
[4] DARES – Publication avril 2021 – La structure des rémunérations dans le secteur privé en 2018 : https://dares.travail-emploi.gouv.fr/donnees/la-structure-des-remunerations
[5] Impossible de tout citer…on pourra explorer quelques pistes de synthèses avec Maya Beauvallet : « Les stratégies absurdes, comment faire pire en croyant faire mieux » . Et Daniel Pink : « La vérité sur ce qui nous motive ».