Le confinement subitement mis en place en mars 2020, a précipité en télétravail à plein temps environ 8 Millions de personnes en France. Pour une grande partie d’entre elles, cet évènement soudain a bouleversé les conditions et l’organisation du travail, les outils de travail, les modes de management et de collaboration. Situation difficile pour tous les parents dans un contexte de fermeture des écoles et des crèches... Et difficile d’une manière générale pour tous, du fait du climat épidémique anxiogène, et du flux continu d’informations catastrophiques, polémiques et contradictoires.
La question du télétravail est donc revenue sur le devant de la scène, largement commentée par les experts en management : conditions d’organisation de l’espace, du temps, mise en place de routines, équilibre vie familiale-vie professionnelle... Nul doute que le sujet va prendre de l’ampleur, et que les nombreuses recommandations[1] émises seront très utiles.
Je ne vais donc pas m’étendre sur la question des facteurs clés de succès du télétravail, ni me risquer à des pronostics sur la pérennité et le développement du phénomène à l’issue du confinement. En revanche, je profite d’une enquête intéressante publiée par myRHline[2] en avril sur le vécu du télétravail par les intéressés eux-mêmes, pour aborder une question de méthode dans l’interprétation des chiffres.
L’enquête explore les conditions dans lesquelles les salariés sont amenés à télétravailler, à collaborer, et également leur ressenti par rapport leur situation de télétravail. Je n’ai pas accédé au questionnaire initial, mais dans le rapport d’enquête, la formulation des questions semble clairement orientée « télétravail », et pas « confinement ».
De nombreux éléments intéressants en ressortent et un en particulier m’a interpellée. A la question : « Comment vous sentez-vous dans votre travail actuellement ? », on observe une grande disparité des réponses en fonction de l’âge des répondants. Les jeunes sont ceux qui vivent le moins bien la situation : seuls 33% des moins de 30 ans se sentent « plutôt bien », alors que c’est le cas de 53 % des plus de 50 ans. Le taux de bien-être augmente avec l’âge, sur toutes les tranches intermédiaires.
Qu’en conclure ?
L’erreur serait d’affirmer que les séniors s’adaptent mieux au télétravail que les plus jeunes, et de rebondir ensuite sur l’étrangeté de ce phénomène, en regard de la plus ou moins grande habilité supposée des uns et des autres à utiliser les outils numériques. Heureusement les auteurs de l’enquête ne se hasardent pas à cette conclusion... Ils se contentent de dire : « contre toute attente, les salariés de moins de 30 ans ne sont pas les plus à l’aise ».
Car dans cette histoire, il y a une variable complémentaire : celle du confinement. Et l’enquête ne permet pas de faire la différence entre l’impact psychologique de la situation de télétravail, et l’impact psychologique de la situation de confinement. Celui-ci renforce l’isolement. Après une journée de travail en solitaire, même agrémentée de visioconférences plus ou moins satisfaisantes ou productives, il n’y a pas d’échappatoire : on ne peut pas sortir, et on ne rencontre personne. Il faut trouver en soi les ressources pour élargir son horizon mental et affectif.
Or, l’enfermement et la solitude sont particulièrement difficiles à vivre pour les jeunes adultes souligne le psychiatre David Gourion dans une interview au journal Le Monde [3] : « A un âge où tout semble possible, où l’on se sent indestructible, cette situation a quelque chose d’assez douloureux, de l’ordre du deuil, qui est de plus en plus difficile à vivre au fil des semaines. Face à cette perte, beaucoup ressentent une sorte d’impuissance, et se sentent inutiles ».
Le stress ressenti par les plus jeunes n’a donc peut-être rien à voir avec le télétravail ! Nous notons du reste qu’il y a de nombreux jeunes free-lances, habituellement tout à fait à l’aise avec le concept de travail à distance, en particulier dans les métiers du digital. Pour pouvoir aller plus loin, et pour pouvoir faire un lien quelconque entre âge et télétravail, il faudrait reprendre ce questionnement dans une situation « normale », hors confinement. Si les réponses demeurent identiques, alors il faudra creuser d’autres pistes et d’autres axes : autonomie dans le travail, possibilité de prise d’initiatives, management, conditions familiales...
En conclusion, cet exemple met en lumière la difficulté des analyses et des recherches de causes en matière sociale. Attention aux préjugés et aux stéréotypes ! La segmentation sur un seul critère risque de mener à des interprétations abusives et erronées, et il est souvent indispensable de croiser les données.
[2] Enquête en ligne du 13 au 20 avril 2020, menée par myRHline – 1417 répondants. « Le confinement, le télétravail et vous ».
https://www.myrhline.com/actualite-rh/rapport-denquete-le-teletravail-pendant-le-confinement.html