Parmi mes lectures d’été, deux ouvrages sur l’intelligence artificielle :
Cécile Dejoux est une spécialiste du management et des RH, et elle dirige la Chaire "Learning Lab Human Change" au CNAM. Ses travaux de recherche l’ont amenée à explorer la question de l’évolution des compétences et des métiers à l’ère du numérique, sujet qu’elle a développé dans un précédent livre co-rédigé avec Emmanuelle Léon[1], et aussi très largement dans ses MOOC. Ce dernier ouvrage vise à nous familiariser avec les usages de l’intelligence artificielle (IA) dans les entreprises. Parmi les questions posées : quelles sont les applications et usages possibles de l’IA en entreprise ? Mais aussi (et surtout) : comment s’organise un projet IA concrètement, et comment développer ses compétences (en particulier les « soft skills ») pour travailler harmonieusement avec l’IA ? L’objectif est clairement de dédramatiser l’arrivée de l’IA, et de donner envie de s’impliquer dans les projets IA. Une IA destinée à valoriser les métiers plutôt qu’à les remplacer : il faut savoir saisir les opportunités et être conscient des limites (ou menaces ?). On appréciera le grand nombre d’exemples et de témoignages concrets, assortis de vidéos, les explications et définitions des principaux concepts et éléments de vocabulaire, les propositions de scénarios pédagogiques pour animer des ateliers d’acculturation à l’IA, et la bibliographie très fouillée. Bref, du concret destiné à la mise en œuvre opérationnelle, mais aussi des éléments de questionnement sur le fond.
Ce livre s’adresse donc aux professionnels des entreprises, non scientifiques et encore moins experts de l’IA, mais utilisateurs ou « collaborateurs » potentiels de l’IA.
Pour autant, les questions évoquées dépassent largement le cadre de l’entreprise et des applications de gestion. La société toute entière est concernée, dans la vie de tous les jours, dans ses modes de communication, de consommation, d’apprentissage. Et au-delà des compétences techniques, il me semble que les fameuses « soft skills » à développer ne se décrètent pas subitement à l’âge adulte, à Bac + 3, +5 et plus... Créativité, collaboration, capacité à communiquer, esprit critique...tout cela s’apprend dès le plus jeune âge et s’exerce tout au long de la vie. Le défi est donc avant tout un défi éducatif, un défi global de société, et il ne démarre pas, et ne s’arrête pas, à la porte de l’entreprise.
C’est cette vision systémique que développe Aurélie Jean dans son ouvrage, en nous mettant en garde par rapport aux amalgames parfois simplistes entre réel et virtuel. L’auteur est une scientifique, docteure en science des matériaux et en mécanique numérique, et qui au fil de ses travaux de recherche a développé une expertise dans les algorithmes et l’Intelligence Artificielle : dans son domaine scientifique initial, puis dans des applications très variées, allant de la médecine à la finance. Passionnée par le sujet, convaincue par les progrès que cette technologie peut nous apporter, elle garde toutefois la tête froide et nous alerte sur les risques :
Plutôt que de condamner au tribunal populaire les entreprises fautives, Aurélie Jean recommande de traquer et d’analyser les erreurs afin de progresser, car d’après elle, les erreurs sont avant tout humaines. Mais par-delà ces considérations techniques, elle nous conseille : « Que les scientifiques redeviennent philosophes...et que les philosophes s’intéressent à la science ». La société de demain est à construire : comment conserver notre liberté ? Comment rester maîtres de nos choix ? Comment ne pas laisser de côté une grande partie de la population ? L’apprentissage est une clé : « Une vie entièrement conditionnée algorithmiquement nous empêcherait de faire des erreurs et donc d’apprendre. Sous couvert de recherche continue d’efficacité, nous ne ferions que nous appauvrir intellectuellement ». Le monde ne peut pas non plus être entièrement prédictible, et il faut parfois faire confiance à son intuition...
Un même sujet, deux angles d’approche complémentaires. Sur cette thématique, l’histoire continue de s’écrire chaque jour et aucun argument ne clôt définitivement le débat. Restons alertes, observons, écoutons sans préjugé, ce qui se passe et ce qui se dit dans notre environnement proche ou lointain : c’est aussi comme cela que se développe le fameux esprit critique qui sera notre salut...