Le premier jour, le jour d'après ?

Performance Management et Ressources Humaines...quelle idée d’inaugurer ce site et le blog associé en plein confinement du Covid 19 ! Je travaille sur  ce  projet depuis plusieurs mois, il est assorti d’un ouvrage que j’ai écrit et qui est sur le point d’être publié, lorsqu’éditeurs, imprimeurs et libraires auront repris leur activité. Mais  je m'interroge : la crise qui nous frappe ne remet-elle pas tout en question ? Est-ce que tout cela a encore du sens ? N’y aura-t-il pas un « avant » et un « après » épidémie ? Le monde ne va-t-il pas en sortir radicalement différent ?

Tout ce sur quoi je travaille depuis des années est-il devenu complètement anachronique en l’espace d’un mois à peine ? Ce ne sera peut-être destiné qu’à nourrir la réflexion des futurs historiens ou anthropologues, sur ce qui aura agité les esprits dans le monde des entreprises du début du 21^ème siècle ! Et ce sera pour eux un sujet d’étonnement et de perplexité... Au moment de démarrer, je suis donc saisie par le doute !

Saisie par le doute, saisie de stupeur et d’effroi comme le reste de l’humanité devant l’incertitude et la menace liée à l’épidémie : crise sanitaire, crise économique et financière, dégâts sociaux, sociétaux et psychologiques. Nous sommes tous égaux face à la menace virale qui peut frapper chacun d’entre nous. Nous sommes égaux face au virus, mais pas face au confinement . La bonne nouvelle, c’est que les épidémies ont toujours une fin, et que nous nous relèverons. En attendant, il nous faut nous adapter et faire face. Il faut « tenir ».

Le premier choc passé, j’ai compris que non, mon sujet n’était décidément pas dérisoire, accessoire et superflu, mais au contraire essentiel, et que cette crise le démontre avec fracas.

La bonne santé d’une population est le point de départ de tout : à un niveau individuel, à un niveau collectif, au niveau des entreprises, des états, et de l’humanité. Un virus minuscule bloque aujourd’hui l’activité du monde entier, maintient en confinement la moitié de la population de la planète, et la question de la performance s’efface devant la crainte de l’effondrement ! Car si la santé humaine est menacée, pas de prospérité, et pas de performance bien sûr. Au niveau des entreprises, cette crise nous révèle clairement que les hommes et les femmes qui y travaillent constituent une richesse irremplaçable. Les menaces qui pèsent sur la santé impactent et désorganisent tous les secteurs d’activité, dans tous les pays. Et dans les entreprises, les Ressources Humaines sont en première ligne pour relever  ces défis : maintenant, et après.

Que va-t-il sortir de tout cela ? Le monde est certes mieux armé pour lutter aujourd’hui qu’au temps de la Grande Peste. Mais les atermoiements dans les décisions des gouvernants de la planète montrent que personne n’a de réponse sur la meilleure voie de sortie pour l’instant. Les technologies de pointe et l’intelligence artificielle ne sont que peu de secours dans cet épisode qui nous ramène à notre vulnérabilité animale : se laver les mains et rester chez soi, sans médicament et sans vaccin pour l’instant...voici ce qu’on nous propose ! Il n’y a pas de décision prête à l’emploi, pas de décision parfaite et le choix sera nécessairement un compromis entre trois objectifs : la santé publique, l’économie, les libertés individuelles. L’impossibilité de satisfaire ces trois finalités simultanément conduira fatalement à des difficultés, et risque de générer polémiques, colères et révoltes...

Les prophètes et experts de tous horizons et de toutes disciplines se bousculent déjà pour nous prédire l’avenir et « le jour d’après ». Il est bien sûr trop tôt à ce stade pour échafauder des prévisions. Dans l’histoire, les grandes épidémies, quand elles n’ont pas décimé des civilisations entières, ont eu des impacts politiques, économiques, sociaux. Elles ont souvent accru les inégalités.

Revenons à notre sujet : les Ressources Humaines et le Management de la Performance, le contrôle de gestion sociale. Essayons d’imaginer quelques impacts possibles de la crise actuelle, dont nous ignorons la durée pour l’instant, sur nos différentes thématiques.

• Des impacts immédiats sur l’organisation du travail et les coûts : problématiques d’absences, de chômage partiel, complexité de la reprise du travail et de la gestion des congés, avec des problématiques de paie à gérer en urgence.
• Désorganisation des productions, difficultés pour assurer la continuité de l’activité, chute des Chiffres d’Affaires, risques de faillites, avec toutes les conséquences imaginables sur l’emploi et la cohésion sociale.
• Changements dans les modes d’organisation du travail et le management : développement du télétravail pour une partie des métiers, avec les impacts possibles sur les liens sociaux, la cohésion des équipes, les modes de collaboration, la productivité, les coûts...
• Développement de la formation à distance : phénomène déjà en cours depuis plusieurs années avec le déploiement du e-learning et des Mooc...qui s’accélère du fait de l’impossibilité pour les organismes de formation d’’exercer leur activité en présentiel ! Mas il ne suffit pas de mettre à disposition du contenu pré-formaté en ligne : il est nécessaire de revisiter la pédagogie, les interactions, et les modes d'apprentissage.
• Modification des modes de vie et de consommation : les explosions du e-commerce dans la distribution alimentaire au début de la période de confinement pourraient changer durablement les habitudes, remodeler les modèles économiques et donc la structure des emplois et des métiers. Une étude du BCG, publiée en mars 2020[1] montre que les adaptations des modes de consommation lors de la période de confinement en Chine ont généré des  impacts durables.
• Reconfiguration des chaînes de valeur, et relocalisation d’une partie des activités de production antérieurement situées à l’international : impact probable sur les métiers et les emplois.
• Importance accrue du facteur géographique et de l'attention portée aux distances et aux trajets, des personnes et des marchandises.
• Allons-nous vers une reconfiguration de l’échelle des métiers ? Dans son allocution du 13 avril 2020, Emmanuel Macron a évoqué la notion d’utilité sociale, et le fait que les métiers essentiels aujourd’hui, ceux sur lesquels reposent la vie du pays, sont aussi des métiers mal payés, et souvent mal considérés. Ces propos font écho aux travaux de l’anthropologue David Graeber sur les « Bullshit Jobs ». Sujet polémique mais aujourd’hui criant de vérité : quels sont les métiers véritablement indispensables ? Et sur quoi débouchera cette prise de conscience ? Vers une revalorisation de ces métiers ? Vers une automatisation accrue de certains d’entre eux ? Quelle reconnaissance sera accordée et quelles amertumes faudra-t-il gérer ?
• Cette crise amènera-t-elle un pilotage différent des risques, en particulier des risques sociaux ? Mais aussi les risques climatiques, les risques liés aux impacts des activités humaines sur les équilibres de la planète... La notion de développement durable devient soudainement très concrète pour tous.

Pas de réponse à toutes ces questions pour l’instant. En période de catastrophe, il faut s’adapter et gérer les urgences, mais cela amène aussi à repenser et remodeler les organisations. D’une résistance passive, on passe à une résistance active et à une forme de  renaissance. Cela s’appelle la résilience.

Et en définitive, tous les thèmes abordés dans les rubriques de ce site restent d'actualité malgré les évènements. Mais il faudra adapter le discours, le regard, et identifier les questions nouvelles.

[1] Covid-19 In Grocery – BCG 13 March 2020